26/10/2007
ENTRE CIEL ET TERRE.
Le ciel, dans toutes les cultures et à toutes les époques de l'humanité, y compris la nôtre, si désenchantée de la stupeur née de la contemplation de la création, a toujours été le lieu de l'altérité absolue, le lieu où l'homme ne peut mettre le pied, l'opposé de la terre. Les anciens ont pensé pendant des siècles que le ciel était une voûte plus ou moins composée en strates (les cieux des planètes), derrière lesquelles il y avait l'espace de Dieu. On regardait le ciel non seulement pour scruter les signes du temps mais aussi pour élever les prières et les adresser au lieu où Dieu siégeait, dans l'espoir quelles soient écoutées.
Nos voyages interstellaires, les télescopes, la révolution scientifique initiée par Galilée, scrutant précisément les cieux, ont ouvert devant nos yeux non pas le trône du Très Haut mais un espace infini harmonieusement organisé, riche d'étoiles, de planètes, de corps astraux, de galaxies, au sein duquel le système solaire est une réalité minime et même un peu périphérique…
Ces nouveautés bouleversantes, si révolutionnaires qu'elles ont fait tomber des systèmes philosophiques qui avaient quelques milliers d'années et ont profondément modifié la perception que l'homme avait de lui-même, (non plus au centre parfait de l'univers, mais à une petite place minuscule et insignifiante), n'ont pas réussi pour autant à détacher la valeur symbolique du ciel. Son "être au-dessus de nous" qui permet notre existence (faite au fond d'atmosphère) nous fait penser à un au-delà, à un autre monde. Demandez-le aux enfants, (ou à vous-même enfant) à ceux qui s'arrêtent l'été étendu sur les prés à regarder les nuages et en deviner les formes: dans le ciel s'agite un autre monde, le lieu de la fantaisie, de la projection la plus profonde de nos aspirations.
La terre nous relie à elle avec une force qui rend la vie lourde, d'une pesanteur qui est non seulement mesurable en kilos, mais se reflète dans chaque aspect de notre existence. Souvent les rapports personnels, les relations sont lourdes, et le travail fatigant, devoir se déplacer, vaincre la friction du cœur, des autres et des choses, toutes choses qui dans le ciel n'existent pas, le ciel nous libère dans l'espace, le corps est léger, et le mouvement théoriquement infini.
Voici que le ciel revient autoritairement dans notre imaginaire d'hommes et de femmes du XXIe siècle comme le lieu potentiel d'une expression absolue de notre personne, illimitée.
Les paroles de Jésus dans l'évangile de Luc, nous mettent cependant en garde contre ces fantaisies désincarnées.
Nous pouvons voir aujourd'hui combien longues et précoces ont été, dans le christianisme aussi, les tentations d'une spiritualité désincarnée, céleste, qui laissait derrière elle définitivement tout lien avec cette terre, faite de fatigue et de sueur pour entrer dans le monde de Dieu. Les gnostiques du II siècle ap JC sont tellement semblables à certains mouvements de notre temps qui prêchent une recherche de Dieu au-delà de l'épaisseur du corps.
Déjà Thérèse de Jésus s'était aperçue de ce risque, de cette spiritualisation de la vie et de l'expérience de Dieu, qu'elle écrivait à ses sœurs, à la fin du Château intérieur, allant avec hardiesse mais délibérément contre l'interprétation courante de Luc 10, 38-42, qui a fait école jusqu'à peu, "Ne le pensons même pas, Croyez-moi pour accueillir le Seigneur, l'avoir toujours avec soi, bien le traiter et lui offrir à manger, il faut que Marthe et Marie s'entendent. De quelle manière Marie, assise à ses pieds, pouvait lui donner à manger si sa sœur ne l'aidait?" (7M 4,11)
Dans les paroles de Jésus, alors, le ciel reste un au-delà par rapport à la vie, l'au-delà nécessaire et plus important que les entreprises merveilleuses et miraculeuses qui dans la vie, sur la terre, peuvent et doivent être accomplies (comme chasser les démons), mais le ciel n'est pas la spiritualisation de la vie, mais bien le lieu où notre nom est inscrit, où est insérée pleinement toute notre identité corporelle (le nom on le pense pour le fils conçu ou que l'on veut engendrer, et non pour l'âme de cet enfant. Ecrire le nom dans les cieux est un acte de Dieu, (les noms sont inscrits dans les cieux, ce n'est pas nous qui les y mettons), un acte qui ouvre la lourde vie de la terre à la possibilité de trouver une gratuité, une possibilité d'amour et de proximité, à recevoir et à donner, qui la rende plus allègre, plus légère et fassent petit à petit de la terre un ciel.
Dans cette nouvelle perception, plus conforme à l'évangile, du ciel et de notre être au ciel, du lien profond entre ces deux mondes, Thérèse de l'Enfant Jésus nous parle à la fin de sa vie quand, proche de la mort, elle lit et voit son "être auprès de Dieu après la mort" non comme le lieu de la contemplation extatique absolue, mais comme la possibilité qui lui sera donnée à elle, Thérèse, de continuer sa présence sur terre: "Après tout, cela m'est égal de vivre ou mourir. Je ne vois pas bien ce que j'aurais de plus après la mort, que je n'aie déjà en cette vie" (derniers entretiens du 15 mai, 7) et encore "Je sens que je vais entrer dans le repos... Mais je sens surtout que ma mission va commencer, ma mission de faire aimer le bon Dieu comme je l'aime, de donner ma petite voie aux âmes. Si le bon Dieu exauce mes désirs, mon Ciel se passera sur la terre jusqu'à la fin du monde.
Oui, je veux passer mon Ciel à faire du bien sur terre.
10:05 Écrit par BRUNO LEROY ÉDUCATEUR-ÉCRIVAIN dans MÉDITATIONS DE L'INSTANT. | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christianisme, foi, spiritualite-de-la-liberation, spiritualite, action-sociale-chretienne | |
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